Récit de voyage en Ouzbékistan : Nourata
Nourata est proche de la frontalière Kazakh et de ce fait habitée
en grande partie par les Kazakh. Dans les steppes environnantes, vivent des
Kazakhs nomades, qui malgré les efforts de sédentarisation déployés
à l'époque soviétique, ont su préserver leur tradition
de vie nomade.
Nourata est une petite ville qui semble endormie sous la torpeur estivale. Une
famille nous reçoit pour le déjeuner, comme dans un restaurant.
Elle est très accueillante. Je photographie la mamie qui découpe
les carottes en fines lamelles, la mère qui tranche le poulet pour notre
chauffeur, les jeunes filles, l'une de la maison, l'autre venue en renfort,
qui nous servent à table. La table est à 40 cm de hauteur et nous
sommes assis sur des tapis. Ce n'est pas du tout confortable, car il faut se
pencher en avant pour manger. Le menu comprend le fameux " plof ",
plat national de fête, notamment pour la fête du printemps, Navrouz.
On se souvient de sa composition : riz sauté, agneau, le tout bien gras.
Un plat très appétissant et nourrissant dont on n'abuse pas.
La fête annuelle du printemps est une réminiscence de fête
ancestrale. Les réjouissances attirent les jeunes, par exemple pour un
duel à cheval. Le jeu consiste à attraper une dépouille
de chèvre, ou un agneau qui court affolé, et des prix récompensent
le vainqueur, un téléviseur pour le premier, un tapis pour le
second, etc.
Des suzani sont étalées négligemment sur des lits près
de nous, et vont tenter plus d'une d'entre nous à la fin du repas. Les
Ouzbeks ont bien compris tout le bénéfice qu'ils peuvent tirer
du tourisme. Dommage qu'ils soient peu nombreux à en profiter.
La maison a un beau jardin à l'arrière, comme celle où
nous avons pris le petit déjeuner le premier jour à Tachkent.
Hibiscus, tomates, pruniers apportent verdure et couleur. Mais au fond du jardin,
les toilettes sont d'une puanteur extrême que même les mouches ne
supporteraient pas. Je teste une fois de plus ma capacité en apnée,
en comptant les secondes, historie de m'occuper l'esprit. À 150, je suffoque
En attendant les emplettes des unes ou la visite au fond du jardin pour les
autres, je fais une brève incursion à l'extérieur. Des
enfants poussent un vélo, chargé du guidon à la selle,
d'herbes fraîches pour les moutons. Un autre enfourche un âne, chargé
aussi d'herbe. L'âne s'arrête pour se nourrir sur le bas côté.
Sur le trottoir, des briques de terre sèchent au soleil. La vie n'a sans
doute pas changé depuis des années, sauf les avenues inutilement
larges, inspirées des conceptions soviétiques.
Nous visiterons la curiosité locale, la source sacrée de Nouri,
"Chachma-I-Nouri" (autres orthographes : Chashmai, Tchachma), au retour,
après le séjour dans le désert, mais autant en parler ici
pour être plus complet sur Nourata :
Le site était vénéré depuis que le gendre de Mahomet,
Hazrat Ali, aurait fait jaillir une source d'un coup de bâton. Mais la
source située en contrebas de la citadelle sogdienne existait probablement
bien avant et justifie l'implantation de la citadelle. Alexandre Le Grand l'aurait
conquise et agrandie au 4e siècle av J.C..
La
source est aujourd'hui au cur d'un complexe religieux. Pour le visiteur,
une allée dallée descend en pente douce vers une vaste cour plantée
de jeunes arbres. Sur la gauche, se dresse la grande mosquée Namazgoh
construite au XVIe siècle à l'emplacement d'une ancienne mosquée
du Xe siècle. Nous pénétrons dans la salle de prière,
à peine éclairée par des lampes dirigées vers les
voûtes : vingt-cinq coupoles reposent sur des piliers. Durant l'époque
communiste, la mosquée fut désaffectée et convertie en
grenier à grain, un peu comme les églises en France pendant la
Révolution ! Elle est aujourd'hui rouverte au culte. Un religieux reçoit
les promesses d'un croyant et le bénit en claquant des mains.
Face à la mosquée, se trouve la tombe du saint patron de Nourata,
le cheik Abdoul Hassan Nouri, missionnaire musulman venu de Bagdad au VIIIe
siècle. Nous y prenons le frais après s'être déchaussé.
On peut traverser la salle et ressortir en face, à côté
du basin sacré qui porte son nom : la source de Nouri. Les eaux turquoises
et limpides sont agitées par des dizaines d'énormes carpes. Quelques
pèlerins ou visiteurs ouzbeks se penchent à la rambarde. Je remarque
surtout des femmes venues peut-être puiser l'eau à la fontaine
réputée pour ses vertus fertilisantes. Les femmes doivent faire
trente trois fois le tour du puits sacré, dans le sens inverse des aiguilles
d'une montre, en priant Allah, puis elles jettent une pièce dans le fond
du puits et accrochent un morceau de leur vêtement à un buisson.
Cela me rappelle une croyance similaire en Egypte, à Karnak.
En sortant, je remarque des familles chargées de bouteilles et de bidons
en plastique remplis d'eau miraculeuse.
Dans l'après-midi, sous un soleil de plomb, nous continuons vers le
village Yangikazgan. Les montagnes s'éloignent, la température
monte, les villages se raréfient.
Nous traversons une chaîne de montagne et nous arrêtons au col de
Sarmych, à 40 km de Nourata : des pierres sombres émergent du
sol et suivant les indications de notre guide, nous cherchons des signes gravés
sur ces pierres, des formes d'animaux, de chevreuils (teke), de chevaux, de
sangliers, de personnages. Il s'agit de pétroglyphes de l'Age de Bronze.
Ils sont naïfs mais très figuratifs. En total, plus de 3000 pétroglyphes
ont été recensés.
Plus
loin, le village fantôme de Baymourat nous ramène dans des temps
reculés, où les rues étaient en terre ou en sable. De rares
fils électriques semblent conduire l'électricité. Les maisons
sont dispersés, au gré des humeurs, ni alignées ni accolées.
Le village paraît endormi. En sortant faire un tour, je vois passer un
vieil homme, un " aksakal ", sur son âne, assis en amazone,
une dame assez jeune qui file la laine et plus loin et des hommes qui poussent
une voiture récalcitrante au démarrage.
Chez nos hôtes, les sourires et les rires provoquent une atmosphère
joviale. Les enfants prennent la pose devant tel photographe, tandis qu'une
dame a sorti son rouet pour évider des brassées de laine épaisse.
On nous sert du thé et des cacahuètes enrobées de sucre,
à l'ombre d'un arbre rachitique. Les enfants ont confectionné
une balançoire avec une barre fixée à deux branches, mais
ils préfèrent y faire des acrobaties comme le cochon pendu.
Nous allons poursuivre vers le campement en deux groupes, car le vieux car à
notre disposition est trop petit. Je suis du deuxième groupe.
La distance n'est pas grande, et c'est tant mieux car la chemin est très
chaotique et le car qui a connu toutes les guerres est des plus rudimentaires.
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