Récit de voyage en Ouzbékistan sous forme de Journal de voyage :
Tachkent - suite (page 2/3)
Encore fatigués par le voyage, nous débutons nos visites
par le quartier Chorsu, au nord ouest.
Chorsu a son ensemble religieux, Khazret Imam, composé d'un mausolée,
d'une médersa, d'une mosquée.
On nous montre la grande mosquée qui a été construite
très récemment - en un mois paraît-il. Un grand rassemblement
sous des tentes en fête l'inauguration.
Nous commençons la visite par le mausolée du philosophe
et poète Kafal Chachi du Xe siècle :
" Les nuages ont perdu leur monnaie d'or.
Les morts se sont habillés en ce vêtement
Il y a un souffle de vent si froid,
C'est quelqu'un qui a tout perdu pour l'amour d'une belle ".
Le
mausolée est flambant neuf. Il a été refait après
les ravages de l'abandon et du tremblement de terre de 1966. Il fait presque
trop neuf. Cela n'empêche pas les fidèles de s'y recueillir,
notamment les femmes qui prient pour avoir un enfant. Il fallait balayer
l'accès du mausolée en pénitence, mais depuis que
les abords sont bétonnés, cet exercice n'a plus d'intérêt.
Le guide nous fait remarquer que l'édifice n'est pas orienté
comme il se doit vers La Mecque, c'est-à-dire, ici, vers l'Ouest,
mais, vers le nord, sans doute en raison de l'environnement.
La coupole est double : elle a une peau intérieure, qui peut être
décorée de stuc (ce n'est pas le cas ici) et un dôme
extérieur couvert de tuiles. L'intérieur est éclairé
par des claustras qui filtrent la lumière.
Nous
nous dirigeons ensuite vers la madrasa Kukeldash. Des enfants de
petite taille, cheveux bruns, coiffés de bonnets de coton, jonglent
avec des oranges et détourent notre attention.
La
médersa est une école coranique où on apprenait non
seulement l'écriture et le Coran, mais aussi les sciences de la
terre, l'astronomie, les mathématiques et la philosophie. Les études
étaient payantes et des mécènes accordaient une bourse
aux étudiants prometteurs.
Celle-ci est devenue une administration et nous sommes cantonnés
à l'extérieur, juste au bon endroit pour admirer la décoration
de majoliques de la façade ; les céramiques traditionnelles
étaient bleues, de diverses nuances, mais au XVIe siècle,
on a introduit du jaune. On reconnaît des motifs floraux (islimige),
d'autres purement géométriques, en entrelacs (girik), et
des calligraphies qui courent en bandes. La porte de bois sculpté
fait écho aux motifs floraux avec des fleurs de coton et des fleurs
de lotus.
En
face, au fond d'une grande cour, il y a la mosquée et une salle
qui contient un très vieux Coran. Son histoire est mouvementée,
car ce Livre sacré a été mis à l'abri par
les Russes avant de revenir sur sa terre.
Nous reprenons la route. La ville est très étendue, un peu comme
une vaste banlieue et les immeubles se succèdent, discontinus, de 4-5
étages, hérissés de paraboles. La circulation est faible.
Les voitures sont de vieilles Traban ou de petites Daewoo, depuis qu'une usine
du constructeur coréen a été implantée dans la vallée
de Ferghana. Pendant la guerre de 1940, les Russes ont déplacé
des usines en arrière du front, et notamment en Ouzbékistan, introduisant
une culture industrielle dans ce pays traditionnellement agricole.
La Place de Mustaqillik a connu divers noms en fonction des événements
: Place Lénine, du temps de l'URSS, puis Place de l'Indépendance,
après 1991.
Deux styles d'édifices se côtoient : le palais du peuple est résolument
moderne, de métal et de verre, assez impersonnel, à l'image du
régime communiste, tandis que le Parlement construit par les Ouzbeks
indépendant s'inspire de l'architecture traditionnelle avec une coupole
(mais celle-ci est très aplatie, peu proéminente).
Entre
les deux, une médersa paraît minuscule, mais elle est un joyau
: la madrasa Abdoul Kassym, datant du XVIe siècle.
Son fondateur était quelqu'un de riche. Il a investi sa fortune dans
cette école pour les générations futures. Le plan est classique
et nous le retrouvons décliné dans tout le pays. Le bâtiment
est carré, à deux niveaux. Les cellules des étudiants (hujra)
se comptent avec autant de fenêtres sur l'extérieur. L'entrée
est un pavillon central orné d'une demi coupole. On débouche sur
un vestibule qui fait choisir entre la gauche ou la droite. Les murs sont peints
en blanc et les premières boutiques d'artisans déploient peintures
et miniatures. On pénètre sur une vaste cour, plantée de
quelques arbres. Je reconnais des orangers de osages, arbres peu courants. Deux
jeunes filles s'engouffrent dans un escalier d'angle. Par curiosité,
je les suis, jusqu'à la coursive de l'étage. Les escaliers ont
cette particularité d'être très raides, comme je n'en ai
jamais vus. Chaque marche fait 40 cm de haut pour 15 de profondeur ce qui oblige
presque à s'aider des mains pour monter. Comme le plafond est bas, il
faut se faufiler. La coursive domine la cour et donne accès à
chaque cellule. Celles-ci sont transformées en ateliers d'artisanat.
Ici, on s'affaire sur des dorures, là au martelage du cuivre, au découpage
du cuir, à la peinture de miniatures fines. De retour au rez-de-chaussée,
je visite d'autres ateliers dont un où se termine la fabrication d'un
coffre en marqueterie.
L'artisanat ouzbek a conservé de l'époque mongole les merveilleuses
miniatures : elles sont peintes sur du papier ancien, des cahiers coraniques
(préalablement recouverts pour masquer les écritures), ou
sur du papier moderne, ou sur de la soie, mais dans ce cas le dessin est
moins fin car la peinture bave sur la soie. Les scènes sont imaginées,
par exemple des batailles, ou des loisirs champêtres, ou bien ce
sont des reproductions de miniatures anciennes. Les perspectives sont
naïves, et la notion de profondeur est simplement suggérée
par la réduction de taille. Les personnages sont souvent montrés
de profil. Mais la qualité d'une miniature se mesure à l'étendue
de la palette de couleurs, à la multiplication de nuances et au
raffinement du trait. Une belle miniature de 12 cm sur 20 cm peut nécessiter
5 jours de travail à la loupe, pour dessiner la pupille de yeux,
les cils, les cheveux et les ondulations des drapés.
Les visites du premier jour s'arrêtent là.
Notre restaurant : les Ouzbeks aiment les salles sombres, décorées
de façon discrète sous un éclairage rasant. La pièce
est climatisée. Je goutte la bière pression, plutôt
légère, servie d'office en 50 cl.
Nous poursuivons ensuite vers notre hôtel pour nous reposer car
la première journée est éprouvante en raison du décalage
horaire.
Notre hôtel :
Il
fait face au jardin de Tamerlan. La façade s'apparente à
un livre ouvert, et la décoration à des arabesques stylisées.
Les chambres sont spacieuses, et celles à l'arrière sont
équipées de balcons qui dominent un no man's land, et aucun
immeuble remarquable. On se croirait dans une lointaine banlieue verdoyante,
sans charme.
Seule note de couleurs : les parasols et les chaises du café de
l'hôtel à nos pieds.
Le quartier environnant est très agréable bien que trop
calme : dans le jardin, des joueurs d'échec se concentrent, à
l'ombre de grands platanes. Au centre, une statue de Tamerlan à
cheval brandit le poing vainqueur.
A la chute du régime communiste les pays nouvellement indépendants
se sont cherchés de nouveaux héros. Les statues de Lénine
et Staline renversées, on chercha de nouveaux guides : on puisa
dans le passé pour exhumer Tamerlan qui n'est pas ouzbek, puisque
les Ouzbeks sont arrivés après, mais il a dominé
le pays. Les pays voisins ont choisi Gengis Khan. De généraux
sanguinaires, on a fait des conquistadors généreux
De
la place part l'avenue Broadway, vantée dans mon guide comme
un lieu de distraction, sensé attirer en permanence une foule de
badauds, des cafetiers, des vendeurs, des amuseurs. Il n'en est rien.
La rue piétonne est vide, désespérément vide.
Des bâtiments récents ou neufs la bordent. Le guide Gulbara
nous expliquera que le président a jugé cette avenue au
nom étrange un peu trop bruyante ou dévergondée et
en une nuit, avec la fermeté digne de ses prédécesseurs,
Gengis Khan ou Tamerlan, il expédia tout le monde au diable, les
restaurants ont été démolis, les vendeurs chassés.
Il ne reste que des vendeurs de tableaux et de billets dans une rue à
l'écart. J'en profite pour compléter ma collection de billets
âprement marchandés (les prix vont
de 1 à 4 suivant le vendeur). Sur un côté de l'avenue,
un beau jardin apporte la fraîcheur, avec ombrage et jets d'eau.
Mais là aussi, aucun promeneur et juste deux ou trois couples sagement
assis sur des bancs. Je n'ai jamais vu de capitale aussi calme et désolante,
surtout un samedi.
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